La Clarté-Dieu, maison franciscaine, 91400 ORSAY
La Clarté-Dieu, maison franciscaine, 91400 ORSAY

Dimanche de la l'Avent de Gaudete "Joie" - 17 décembre 2023

 

Le contentement ou comment ne pas tomber de son propre piédestal

 

Aujourd’hui, c’est le dimanche dit de la joie. La joie et la splendeur de Noël viennent déjà se mêler au violet du temps de l’avent et portent la couleur et l’humeur vers le rose : Gaudete, relevez-vous la rédemption n’est plus loin. Mais : la voyez-vous ?

 

On pourrait s’amuser, en effet, à vous demander si vous êtes joyeux. Sûrement que vous n’êtes pas satisfait (qui l’est totalement?) Et puis, si vous l’êtes, vous ne le direz pas. Car, la joie, dans notre monde, est suspecte. Si vous êtes joyeux, heureux, et que vous le montrez trop, on vous encouragera à la modestie, par respect pour ceux qui ne le sont pas. Et puis, peut-être vous soupçonnera-t-on de feindre : peut-on être vraiment joyeux du rayon de soleil le matin et de l’odeur du café quand le journal posé à côté de la tasse annonce un autre bombardement à Gaza, ou prétend dévoiler les dessous du business du café au Pérou ?

 

Voilà, il semble que, pour expérimenter la joie dans notre monde aujourd’hui devenu si puritain, il faille se cacher : certains vont en boîte pour cela et, à l’abri des regards, ils peuvent se permettre de danser un peu, avant de revenir à la réalité, refaire la mine convenue de ceux qui veulent faire voir qu’ils se sentent concernés. Mais Jean-Baptiste nous indique peut-être la voie d’une joie radicale, d’une joie primordiale qu’à défaut de mieux, j’appellerais celle du contentement.

 

L’idolâtrie de soi

Deux hommes montèrent au temple pour prier. L’un était pharisien et l’autre publicain. Le pharisien priait ainsi : regarde, Seigneur, comme je suis beau et gentil, comme je donne la dîme et fais l’aumône. Dis, je suis pas mal, hein ? Le publicain, lui, se tenant à l’écart, n’osait pas lever le regard vers le ciel et priait ainsi : Père, prends pitié du pécheur que je suis. Il est dit qu’à la fin, quand ils rentrèrent chez eux, seul le publicain fut justifié. Je laisse de côté la question de cette justification (on peut lire ici) et m’excuse devoir commenter un évangile en en racontant un autre.

 

Mais la tentation du pharisien en est une qui nous guette tous. Il consiste à se fabriquer une image de soi qu’on pense que Dieu aimerait. Il consiste à avoir une image du « moi » que Dieu aimerait, à croire que la version de moi que je suis aujourd’hui n’est pas assez agréable pour que Dieu s’y intéresse et qu’il attend, pour m’aimer, que je sois deux étages au-dessus de moi-même, au-delà de ce que je suis aujourd’hui. Cette image de soi ou, mieux, cette idole de soi, on peut finir par tomber en adoration devant elle et c’est ce qui arrive au pharisien.

 

Mais en général, elle finit par nous tyranniser, travaillant notre culpabilité intérieure et nous laissant croire que, puisque Dieu aimera seulement celui que nous serons demain, celui que nous sommes aujourd’hui ne l’intéresse pas. On ne se sent pas digne de lui, on ne sait pas si on mérite son pardon, etc. On se dresse un piédestal à soi-même dont on tombe constamment. Jusqu’au jour où vient la crise, puisque ce moi fantasmé, cette idole, on finit par désespérer de ne jamais le devenir et ce — puisque c’est une idole — malgré tous les sacrifices qu’il nous impose. Jusqu’au jour donc où vient la crise.

 

La crise : un témoignage

Je pense, pour l’avoir vécu, que chaque jeune prêtre traverse cette étape où l’enthousiasme des jeunes années, la foi à soulever les montagnes (et à juger les autres) se casse la figure et se brise les ailes en plein vol. Heureusement ! J’y étais arrivé cinq ou six ans après l’ordination et je naviguais à vue. Entre le prêtre que je pensais devenir et celui que je devenais, entre l’image que je m’en étais formé et la réalité, le fossé s’élargissait et m’engouffrais, moi n’était pas satisfait de moi et me demandait des comptes.

 

On m’encouragea, on m’obligea un peu même, à prendre le temps d’une retraite. Et je partis pour le foyer de charité de Meaux. Le prédicateur de la retraite me dira plus tard qu’il pouvait sentir de la semaine que je trainais les pas et que quelque chose n’allait pas. À la fin de la retraite, je me décidai non sans réticences intérieures à aller à confesse. Après tout, à quoi aurait servi tout ce long trajet si je n’essayais pas, au moins, de faire ça.

 

Et le prêtre m’écouta longtemps déballer mon sac et il me renvoya avec une phrase, la seule de son discours dont je me souvienne, une phrase qui me sauva la vie : « Mon père, si, un jour, vous avez l’impression d’être tombé au 35e sous-sol, sachez que Jésus est au 36e sous-sol et vous attend les bras ouverts ». Cette phrase, je dis, m’a sauvé la vie. Mon idole intérieure me faisait croire le contraire : elle me disait que mon moi idéal trônait avec Jésus très loin au-dessus et que je n’étais pas à la hauteur. Et me voilà renvoyé avec la promesse qu’il était prêt à aimer même au cas où je tombais encore un niveau plus bas. L’idole de moi que j’entretenais si jalousement venait de prendre un coup mortel. Elle met encore du temps à mourir : il ne faut pas croire, elle a la peau dure. Mais cette confession, cette parole du prêtre l’avait mise à terre, elle et moi étions à terre, elle ne pouvait plus me regarder de haut, elle ne pouvait pas regarder de haut Dieu debout à mon côté. Peut-être que l’œuvre de la grâce en nous est précisément celle-là : détruire l’idole que je risque toujours de devenir pour moi-même, renverser ce puissant de son trône pour que l’humble puisse respirer.

 

Le contentement et la mort de l’idole

C’est la tentation à laquelle Jean-Baptiste est soumis dans l’évangile de ce troisième dimanche de l’avent. On veut lui créer et lui imposer un personnage de substitution : on veut qu’il joue à quelque chose qu’il n’est pas, qu’il endosse une image, qu’il se trouve une idole, qu’il joue un rôle… et il dit non. — Allez, frère : vu tout ce que tu fais, là franchement, tout ce dont tu es capable, tu dois bien être le Messie, au moins. Non ? Sinon, tu dois être Elie, allez… Ou alors un prophète ! On ne perdrait pas autant de temps et d’énergie à flatter certains d’entre nous. Il n’en faut pas autant pour beaucoup d’hommes politiques… Mais Jean-Baptiste refuse de laisser naître l’idole et, ce faisant, il nous montre le secret de la joie à laquelle ce dimanche invite.

 

Jean-Baptiste n’attend pas d’être plus que ce qu’il est. Autrement dit, il sait se contenter de ce qu’il est. Il le proclame assez fièrement du reste : Je suis la voix… et, entendez, ça me suffit. Les Allemands ont, pour dire la chose, un mot que je trouve exquis : la Zufriedenheit. Et c’est un mot que, dans les autres langues, on serait tenté de traduire, trop tôt, trop rapidement par le mot « bonheur ». Mais il faudrait plutôt traduire par contentement — mot d’usage non courant en français, à ma connaissance — ou par satisfaction — qu’on n’utiliserait pas non plus par peur de sombrer dans l’autosatisfaction. Les Allemands vous demanderont rarement si vous êtes heureux (glücklich). Au contraire, on vous demandera si vous êtes zufrieden, si vous êtes satisfait de vous-même, si vous êtes en paix (zu—frieden) avec vous-même, si votre vie telle qu’elle est vous convient, si vous en êtes content… Et c’est une façon modeste de demander si vous êtes heureux.

 

Et Jean-Baptiste l’est, littéralement. Et je tente de l’être depuis que je le sais, d’apprendre cette joie primordiale consistant à se réjouir avec Dieu de sa création. Quand Dieu créa l’amibe et le scorpion, malgré leur tête tordue, il s’arrêta devant eux et voici, il vit que c’était bon. Quand il me créa, malgré la gueule que je fais, il s’arrêta, pareil, et voici, il vit que c’était très bon. Il n’y a pas de raison de croire qu’il a changé d’avis depuis, qu’il attende que je fasse de moi œuvre meilleure que ce qu’il a fait de moi. Non, il est avec moi, m’aime tel que je suis et c’est ainsi seulement qu’il m’apprend à cheminer vers mieux. Mais en aucun cas, il n’attend que je sois le parfait à la gueule d’ange que je rêve d’être avant que de commencer à m’aimer.

 

La révélation et la vision béatifique

Mais Jean-Baptiste n’est pas seulement content de lui-même. Car, oui, la satisfaction peut très vite tomber dans l’autosatisfaction. On renoue avec l’idole mais cette fois-ci, au lieu qu’elle nous terrorise, on lui voue un culte à en mourir. Pour éviter ce second écueil, Jean-Baptiste met la source de son contentement en un autre : il voit, lui, une joie qui « déjà » se tient au milieu de vous et que, malheureusement, vous ne voyez pas. Jean-Baptiste voit quelque chose que les autres ne voient pas et c’est ce qu’il voit qui lui donne cette joie dont il peut se contenter. Il a une vision qui le rend béat, au sens noble du mot.

 

Et ce qu’il annonce est la vocation même de l’Église et donc des chrétiens que nous sommes. L’Église prétend être dépositaire d’une révélation, c’est-à-dire que, pour elle, Dieu a levé le voile sur certaines choses. Elle y a accès et, de ce fait, peut se réjouir, même lorsque le monde alentour semble s’écrouler et que, au milieu des ruines, elle lutte pour la retenir de s’effondrer.

Un des caractères de l’Église catholique, c’est son invincible calme. Ce calme n’est pas la froideur. Elle aime les hommes, mais elle ne se laisse pas séduire par leurs faiblesses. Au milieu des tonnerres et des canons, elle célèbre l’invincible gloire des Pacifiques, et elle la célèbre en la chantant. Les montagnes du monde peuvent s’écrouler les unes sur les autres. Si c’est ce jour-là la fête d'une petite bergère, de sainte Germaine, par exemple, elle célébrera la petite bergère avec le calme immuable qui lui vient de l’éternité. Quelque bruit que fassent autour d’elle les peuples et les rois, elle n’oubliera pas un de ses pauvres, un de ses mendiants, un de ses martyrs. Les siècles n’y font rien, pas plus que les tonnerres. […] Vous la maudissez. Elle chante.

— Ernest Hello, Physionomie des saints, préface.

 

C’est cela la joie radicale. Elle est donnée à ceux qui voient ça et qui peuvent être contents parce qu’ils voient ça. À ceux qui voient Dieu dans leur vie, déjà là près d’eux et non pas trente-six étages au-dessus riant de les voir trimer tout en bas et s’efforçant de s’élever tous seuls. Et c’est ce que l’Église s’entraîne à voir au jour le jour, surtout dans l’eucharistie. On nous montre le pain, un pain sans grâce, un pain lui-même tombé au 35e sous-sol et on nous invite à y voir autre chose que ce que nous voyons, par-delà ce que nous voyons et à en sourire.

 

C’est la joie qui, venant avant l’odeur du café, plus primordiale que le rayon de soleil lui-même, permet pourtant d’y goûter avec joie, en dépit de la rumeur du monde et avant de sortir affronter cette même rumeur et y jeter son grain (il ne faudra pas oublier que la prédication de Jean-Baptiste n’est pas tendre, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui). C’est la joie qui permet, comme dit Saint Augustin, « de chanter Alléluia dans les soucis afin d’être à même de le chanter dans la paix ». À celui qui est content de cette joie première d’autres joies, dont celle du café, viendront s’ajouter. Car la joie vient à celui qui est joyeux et elle s’enfuit de celui qui est triste. De sorte qu’à celui qui en a, il sera donné davantage tandis que celui qui n’en a pas se fera enlever même le peu qu’il a.

 

 

                       © Père P. Léonard KATCHEKPELE Professeur à l'Université de Strasbourg 

 

Dimanche de la Résurrection – 9 avril 2023

 

 

            Nous voici donc au matin de Pâques ! Pour le dimanche de la Résurrection, la Liturgie nous fait lire Jn 20.

            C'est le début d'une nouvelle époque, car c'est le premier jour de la semaine ; la semaine s'était terminée sur le shabbat, après la mort de Jésus !

 

            Marie Madeleine ne perd pas de temps, il fait encore sombre que, déjà, elle se met en route pour rendre à Jésus les derniers soins que l'on rend habituellement aux morts. Qu'est-ce qui la presse donc si fort ? Est-ce seulement le soin que l'on rend à un mort ? N'est-ce pas aussi son amour pour Jésus ? Son amour pour Jésus, n'est-ce pas lui qui est en train de passer par-dessus la mort et qui est, comme le premier signe à peine perceptible, de la vie qui traverse la mort ?

 

Mais voilà, l'événement de la Résurrection que j'ai essayé d'évoquer hier soir s'est produit sans qu'il n'y ait aucun témoin. Ou plutôt on pourrait dire que le seul et l'unique témoin, mais aussi le vrai témoin, c'est le tombeau qui s'est ouvert et avec lui la pierre qui a été roulée. Jésus n'est plus parmi les morts, mais déjà parmi les vivants pour l'éternité. Or cela, personne ne le sait encore, personne ne le comprend. Il est bien évident que ce n'est pas l'amour de Madeleine qui ressuscite Jésus, bien sûr !! Mais il évoque ce verset de l'Ecriture : L'amour est fort comme la mort. Par contre OUI, l'Amour du Père qui reçoit l'obéissance du Fils, fait remonter celui-ci des Enfers.

 

            Pour revenir au récit, Marie-Madeleine se heurte donc à cette première constatation : le tombeau a été ouvert. Cette constatation que cette pierre roulée fait sur elle est tellement forte qu'elle rebrousse chemin. Elle ne prend pas la peine de vérifier ce que cela signifie, elle ne cherche pas d'explication. Elle ne sait qu'une chose : c'est qu'un événement singulier s'est passé. Elle formule dans sa tête l'explication la plus simple qui soit et qu'elle doit partager avec ceux qui lui sont proches et qui étaient les disciples de Jésus : le Seigneur est parti, on l'a enlevé.

 

Cette explication n'est ni idiote ni farfelue, elle est même tout à fait compréhensible. Elle est la déduction logique de ce qu'elle a vu. C'est en quelque sorte la première étape face à la Résurrection de Jésus, c'en est l'attitude la plus fruste, la plus rudimentaire. Il en faut passer par là. Et par là, d'une certaine manière, Marie-Madeleine est le cheminement type de tout croyant face à la Résurrection.

 

Comme elle n'est pas capable de résoudre cette énigme elle s'en rapporte aux membres les plus éminents de la communauté, Simon Pierre d'abord, l'autre disciple ensuite.

 

L'évangile de Jean fait alors dispraître Marie-Madeleine de la circulation. Il livre simplement l'expérience de foi des deux disciples. Après Pierre, arrive l'autre disciple, et c'est certainement lui qui nous livre son expérience : Il vit et il crut. L'évangéliste ne nous dit rien de son cheminement, du pourquoi et du comment, du quoi, du qu'est-ce. Il est sans doute le seul à avoir fait cette expérience de foi en la Résurrection, en l'absence de la personne physique de Jésus, ce que nous verrons dans la suite des apparitions. On retrouvera Marie-Madeleine en pleurs auprès du tombeau, exprimant sa tristesse inconsolable d'avoir perdu son Seigneur.

 

Nous sommes un peu comme Jean, nous ne sommes pas gratifiés d'une apparition de Jésus. Jésus ressuscité n'apparaît ou n'est apparu à aucun d'entre nous. Nous n'avons rien d'autre que les textes évangéliques, le témoignage de milliers et milliers de chrétiens qui transmettent leur foi de génération en génération. C'est sur leur parole, à leur exemple que nous proclamons notre foi en la Résurrection. Foi ? certainement ! Il n'y a aucun élément scientifique, aucune argumentation logique, aucune déduction bien construite qui peut nous amener à dire que Jésus, mort sous Ponce Pilate, est ressuscité le troisième jour, son corps pouvant se laisser toucher, approcher et portant en lui-même les traces encore bien visibles de sa souffrance, la marque des clous et le côté ouvert.

 

Annoncer notre foi en la Résurrection, aujourd'hui, c'est affirmer que la mort n'a pas le dernier mot dans notre existence humaine. Mais cette victoire sur la mort ne s'obtient pas par des prouesses technologiques, toujours plus sophistiquées qui viseraient à priver l'homme de sa mort, à le "démortaliser en quelque sorte" comme voudraient nous le faire croire les tenants du transhumanisme. La finitude de l'homme se fait par un passage, par une adhésion à Celui qui est passé par là avant nous. Nous trouverons en Jésus, mort et ressuscité, l'expression la plus achevée de notre humanité, parce que le Christ a su assumer la vie humaine dans toutes ses expressions y compris la souffrance et la mort. C'est à cela que nous sommes tous appelés : à passer par la mort à tout égoïsme, avec le Christ et par le Christ. C'est le seul chemin qui sauve et qui sauve l'humanité.

 

© frère Michel Caille, franciscain – Strasbourg

Samedi saint – Annonce de la Résurrection - 8 avril 2023

 

            Nous sommes la nuit de la Résurrection durant laquelle le Seigneur Jésus est ressuscité. C'est ce que nous dit la foi chrétienne, notre foi. Mais nous ne savons ni où, ni surtout comment cela s'est passé, comment s'est opérée la Résurrection. Il n'y a eu aucun témoin oculaire. Aucun journaliste n'était là pour capter l'événement. C'est que la Résurrection de Jésus nous a été transmise par des témoins qui ont cru mais pas par le fait que l'on rapporte ; ce sont de ces témoins que nous avons reçu la foi en la Résurrection, que nous la célébrons ce soir et, ce faisant, que nous la transmettons.

 

            Chacun à sa manière, les évangélistes rendent compte de la Résurrection ou plutôt tentent de décrire la façon dont les témoins transmetteurs sont arrivés à la foi en la Résurrection.

 

            Matthieu est sans doute le plus loquace qui nous dit, alors que Marie de Magdala et l'autre Marie se rendent au sépulcre, qu'il y eut un grand tremblement de terre, que l'ange descendit et roula la pierre (Mt 28, 2). Ces détails sortent totalement de la vie ordinaire des hommes, de chacun d'entre nous. Cette description est là pour rendre compte de ce que les femmes vont trouver : la pierre est roulée et le tombeau est vide. Mais l'événement lui-même de la Résurrection n'est pas raconté, car il ne peut être appréhendé.

 

            Tout simplement parce que c'est totalement impossible. La Résurrection est un événement qui se déroule dans notre Histoire, dans la vie des hommes, mais ce n'est pas une histoire que l'on raconte, dont on a été témoin. La Résurrection n'est pas comme le couronnement du Roi d'Angleterre auquel chacun peut assister et qui est retransmis sur notre écran de télé ou notre portable.

 

            Il en est ainsi parce que la Résurrection dépasse totalement notre Histoire, tout comme un tremblement de terre dépasse notre histoire : nous n'avons aucune prise sur lui. Nous pouvons le prévoir, mais non l'empêcher même si nous en ressentons les effets, ô combien puissants ! À plusieurs reprises, Jésus a annoncé à ses disciples sa mort et sa résurrection. L'incompréhension, le refus de la Lumière et de la Vérité, dû à la lâcheté des hommes ont amené Jésus au Calvaire. Mais l'effet de la Résurrection et de la foi en la Résurrection a été puissant sur les disciples. De timorés, de peureux qu'ils étaient, ils sont devenus des gens courageux dont le premier message a été un cri : Il est Ressuscité !

 

L'événement de la Résurrection dépasse notre Histoire parce qu'il lui donne son sens. C'est le sens de notre histoire, c'est vers là que nous devons aller. Alors que, peu ou beaucoup, nous subissons les effets du péché par la mort et la souffrance, nous affirmons que la mort, la souffrance, le désespoir, le néant, le non-sens n'auront qu'un temps.

 

Chaque fois que nous célébrons et annonçons la Résurrection du Christ, nous entrons à nouveau dans cette perspective, dans l'histoire de notre renouvellement. Nous nous situons dans la longue chaîne, la longue lignée de témoins, connus, mais le plus souvent anonymes qui ont vécu cette foi et l'ont fait passer, l'on transmise, du mieux qu'ils ont pu.

 

Chaque fois que nous proclamons notre foi en la Résurrection nous affirmons la victoire de la Vie sur la mort ; cette victoire nous a été obtenue par le Christ lui-même qui, innocent, a accepté de mourir pour des coupables.

 

La célébration de la Résurrection, comme aussi celle de la Croix, mais à un autre titre, est là pour nous replacer une fois encore en face de ce grand mystère. De cette célébration nous arrive la foi de toutes les générations de croyants qui nous l'ont transmise. La célébration liturgique réanime, vivifie notre foi en la Résurrection. Vivons-la donc avec recueillement et application et que le Seigneur ressuscité nous habite vraiment et nous affermisse dans notre foi.

 

© frère Michel Caille, franciscain – Strasbourg 

Vendredi Saint – 7 avril 2023

 

Durant ce jour très saint, nous célébrons et vénérons la mort de Notre Seigneur Jésus Christ. La plupart du temps on procède aux funérailles d'un roi, d'un empereur, d'un président car c'est le moment où il disparaît et où presque toujours sinon toujours son œuvre est engloutie. Au mieux on se rappelle, on commémore l'anniversaire de sa disparition.  Car avec la mort du grand homme s'achève également le pouvoir qu'il a exercé directement sur les hommes. Ne restent alors que les quelques livres, sentences qu'il a écrites ou les monuments qu'il a fait construire pour que son nom passe à la postérité. L'influence qu'il a exercée ne sera plus qu'indirecte sur la vie des hommes, comme, par exemple, on visite la Grande pyramide de Gizeh, mais qui sait encore qui était Khéops ?

 

Pour les chrétiens, voilà bien la différence. Chaque année on célèbre la mort du Christ. Chaque année, on revient au pied de la Croix, on vénère l'instrument de ce supplice infâme réservé aux bandits, aux criminels, supplice particulièrement dégradant et horrible par la lenteur avec laquelle venait la mort.

 

Nous vénérons la Croix, non pas comme un simple entrecroisement de bois, non pas comme un instrument de supplice, non pas comme un objet fétiche qui aurait un pouvoir anesthésiant ou des vertus de guérison. Nous vénérons la Croix, non pas comme le lieu vide de la mort dans une répétition sentimentale en éprouvant le regret éternel de l'aimé à jamais disparu, mais comme la source de la vie.

 

Nous venons à la Croix parce que c'est là que notre Seigneur et Maître a donné sa vie, non pas de manière contrainte et forcée, mais volontairement, librement et de son plein gré. Ma vie personne ne me l'enlève, mais je m'en dessaisis de moi-même ; j'ai le pouvoir de m'en dessaisir et j'ai le pouvoir de la reprendre (Jn 10, 18). La liberté que Jésus exprime dans ce discours est la liberté d'un amour absolument détaché de tout lien de nécessité. C'est la liberté de l'amour.

 

Nous venons à la Croix comme à la source de l'Amour, du plus grand amour, de l'amour total. Cet amour-là n'avait pas d'endroit où reposer sa tête et il contemplait, émerveillé la beauté des lys des champs qui ne sèment ni ne moissonnent et que le Père des cieux maintient en vie. L'amour du Christ est donc un amour souverainement dépouillé, mais aussi souverainement obéissant, qui nous ouvre à l'Amour de Dieu, de sa Création et de ses créatures grandes et petites.

 

Nous venons à la Croix parce que nous y trouvons, précisément à cause de tout cela, la réalité la plus authentique de notre humanité. Là, sur ce bois, chacun peut y retrouver sa propre humanité, son chemin quel qu'il soit, aussi douloureux soit-il puisque le Christ, Lui l'Innocent, n'a pas refusé la souffrance, ne s'est pas soustrait à ceux qui le maltraitaient. Là, sur ce bois, chacun peut y entendre le cri de: Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m'as-tu abandonné ? Chacun peut y retrouver la clameur de sa propre souffrance, de son désir le plus intense de vivre, de son aspiration la plus profonde : J'ai soif.

 

Mais alors, dira-t-on, pourquoi cheminer ainsi chaque année vers un mort ? Tout simplement parce que nous avons la mémoire courte et que chacun, chacune doit régulièrement se réorienter vers le Bien.

Frères et sœurs, Celui que nous vénérons sur la Croix aujourd'hui n'est pas un mort, mais un vivant. Oui, celui que nous vénérons est un vivant, mais nous savons que, pour le trouver, nous devons passer par une certaine mort à nous-mêmes, préfiguration de notre mort physique. Dès demain, nous célèbrerons sa Résurrection comme nous célébrons en ce moment sa mort, la mort de l'Innocent.

 

La raison de tout ceci nous est donné par l'auteur de l'épître aux Hébreux : parce qu'il s'est soumis en tout, il a été exaucé (He 5, 7). Non pas une soumission d'esclave, mais d'homme libre, de celui qui pouvait tout et n'a été le Maître de rien ni de personne, de celui qui avait tout et ne s'est attaché à rien, de celui qui venait d'auprès de Dieu et qui est descendu jusqu'au fond des Enfers. La clé de sa mort et de sa Résurrection est là : dans l'acceptation totale et joyeuse de ce que Lui demandait le Père : le Père source de sa vie, Maître de l'éternité, de la Création des temps et de l'histoire.

 

Puisse donc Celui que nous vénérons maintenant nous aider dans notre propre cheminement, nous aider à Le suivre, et être ainsi la source de notre amour, de notre joie et de notre vie. Grâce au don de nous-même à Notre Seigneur Jésus, vivre dans la joie, en nous donnant, en aimant comme Lui-même a aimé en suivant l'exemple qu'Il nous a donné, car il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.

 

© frère Michel Caille, franciscain

Jeudi Saint – 6 avril 2023

 

En ce jour du Jeudi saint nous célébrons l'Institution de l'Eucharistie. La lecture de l'évangile est toujours celui de saint Jean qui relate un rite important : celui du lavement des pieds. Ce rite est totalement lié à celui de l'Eucharistie. En effet Jean 13 commence ainsi : Avant la fête de la Pâque … au cours du repas… Jésus se mit à laver les pieds de ses disciples (Jn 13). C'est sans doute là, avant sa mort en Croix, que Jésus exprime le mieux le sens de sa mission : Le Fils de l'Homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir. Servir en se mettant aux pieds des hommes, leur lavant les pieds signe de la purification pas seulement physique et matérielle mais aussi et surtout morale et intérieure que sa mort apporte en réconciliant définitivement et totalement les hommes avec Dieu son Père. Il est Lui l'Innocent qui donne sa vie et donne un sens à nos relations fraternelles

 

L'institution

Dans le récit que nous venons de lire, Jean ne nous offre pas de récit direct de l'institution de l'Eucharistie contrairement aux évangiles synoptiques. Il se contente de dire ce que je viens de rappeler : avant la fête de la Pâquesau cours d'un repas. Il s'agit du même repas au cours duquel les fils d'Israël célébraient leur libération et leur sortie d'Égypte, pays où ils avaient été tenus en esclavage. C'est le repas de la libération, le repas du salut, celui du Passage du Seigneur, présence libératrice du Seigneur au milieu de son peuple. C'est aussi selon toute vraisemblance, le repas auquel Paul fait allusion dans la première lecture de l'épître aux Corinthiens.

 

Ce qui est devenu maintenant notre Eucharistie présente un certain nombre de caractéristiques qui permettent de voir qu'elle est issue du repas pascal juif que je viens d'évoquer. De ces caractéristiques j'en retiendrai 3 :

- Tout d'abord un fait d'évidence : c'est bien au cours de la Pâque juive que Jésus réunit ses disciples pour célébrer le jour de la grande libération, la sortie de l'esclavage et de la servitude.

- On se rassemble en famille et c'est le père de famille qui préside ce repas. Il se rattache bien entendu à ce qui a été prescrit aux fils d'Israël juste avant la sortie d'Égypte. On se réunit en famille, l'entité sociale de base. On ne célèbre pas l'escapade d'un individu. Le repas pascal est vécu comme le repas de la libération de la petite unité de base qu'est la famille. Les évangiles synoptiques se font l'écho de cette préparation de la Pâques : où veux-tu que nous te préparions à manger la Pâque ? (Mt 26, 17). Jésus est vu comme le père de famille, comme le convive par excellence, celui qui préside et dirige le repas. Il est donc le Maître, celui auquel et autour duquel le repas va se dérouler. Il célèbre ce repas la nuit où il fut livré (1Co 11, 23) c'est-à-dire quelques instants avant d'être arrêté. C'est son repas, son passage de ce monde au Père.

- Parmi les mets que compte ce repas il y a, entre autres, des pains azymes, ou pains sans levain et deux coupes de vin. Jésus reprend cette nourriture en disant la bénédiction, en rendant grâces à Celui de qui vient tout don. Mais il oriente ce repas dans une autre direction. Ce repas est la signification même de sa propre existence : ceci est mon corps qui est pour vouscette coupe est la nouvelle alliance en mon sang (1Co 11, 24. 25). Le pain sans levain devient son Corps, la coupe de vin devient l'Alliance nouvelle en son sang.

 

Le rôle de la Tradition

Le geste du lavement des pieds que Jésus opère durant son dernier repas de Pâque est orienté vers l'Institution de l'Eucharistie en indiquant qu'il aide à construire une société fraternelle. Les disciples du Christ ne se retrouvent pas seulement autour d'une Table, si sainte soit-elle, mais pour bénéficier de l'exemple du Maître, recevoir sa nourriture et pour bien édifier la sainte communauté des hommes, l'Église.

En nous tournant vers la 1° aux Corinthiens, nous découvrons un autre aspect de l'Eucharistie sur leque nous pouvons nous arrêter quelques instants.

Paul nous livre le récit de l'institution à travers la Tradition : j'ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur et je vous l'ai transmis. Contrairement aux apôtres qui étaient présents en cette préparation de la Pâque, Paul était absent. Il transmet, aux destinataires de sa lettre ce que lui-même a reçu. Cela témoigne, au plus près de la mort du Christ, de la volonté de transmettre ce qui est reçu. L'Eucharistie n'est pas reçue seulement pour être partagée en un moment précis de chacune de nos histoires, mais pour être à son tour transmise. Elle est tout à la fois réception et transmission, passage.

 

Faire mémoire

Célébrer la Pâques, c'est faire mémoire. Ce n'est pas qu'un simple souvenir d'un repas ou d'un événement qui s'est déroulé autrefois dans un pays lointain. Non, le repas lui-même est mémoire, souvenir, il active, il rend présent le repas qui eut lieu ce soir-là en sortant d'Égypte.

Dans la tradition qu'il a reçue, Paul insiste sur cette mémoire. Jésus demande de faire mémoire aussi bien quand il donne son corps que quand il invite à boire la coupe, d'abord : faites cela en mémoire de moi, puis chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi (1Co 11, 24. 25). Paul ne se contente pas de rappeler les paroles du Seigneur, il insiste bien sur l'importance de faire mémoire ; en effet, il ajoute : chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'Il vienne (1Co 11, 24). L'Eucharistie que nous célébrons a donc un lien direct et essentiel avec la mort du Seigneur Jésus. Elle la rend présente et effective, réellement. En sommes-nous toujours conscients ? On annonce cette mort, c'est-à-dire non seulement les circonstances matérielles et historiques, mais surtout salvifiques, décisives pour notre vie. Le don que le Seigneur fait de sa vie passe, advient à ce moment-là !

Ne nous étonnons pas que notre liturgie insiste sur ce fait quand le célébrant invite à nous rendre attentifs à ce qui se passe au moment de la consécration : Il est grand le mystère de la foi. Oui, effectivement, il est grand le mystère de la foi : car si nous absorbons cette simple nourriture du pain et du vin consacrés, cette même foi nous dit que ce n'est pas nous qui transformons Celui que nous absorbons mais c'est bien Lui qui nous absorbe et qui nous transforme en Lui. Nous ne sommes plus des individualités juxtaposées, mais nous devenons vraiment son Corps mystique pour l'éternité, présent aujourd'hui pour la vie du monde.

 

 

© Frère Michel Caille, franciscain - Strasbourg

Homélie du frère Didier Brionne, Ofm,

3ème dimanche Ordinaire année C - 23 Janvier 2022           

 

Au cœur de la célébration eucharistique, la Parole de Dieu nous est donnée pour nourrir notre foi. Risquer quelques mots en lien avec l’Evangile du jour, c’est rappeler que Dieu nous parle et dit la manifestation de Jésus Christ à son peuple.

 

Dimanche dernier, l’épisode des noces de Cana montrait à tous le lien très fort établi par Jésus lui-même entre l’Ancien et le Nouveau Testament. La symbolique de la noce, avec l’appel à l’intervention de Jésus, dit la continuité d’une même Alliance entre Dieu et son peuple rassemblé pour ce repas.

 

Cette fois le cadre est différent, mais l’objectif semble pourtant le même : redire et montrer que Jésus ne supprime pas la première alliance mais l’accomplit, un seul et même Testament, Alliance qu’Il est venu la sceller dans le don de sa vie.

 

Le cadre de l’événement est religieux. Nous sommes à la synagogue, au cœur de l’office synagogal du jour du sabbat avec la lecture de la Parole. Jésus, membre à part entière du peuple juif et de la communauté liée à la synagogue de Nazareth, intervient, selon son habitude nous dit-on, comme lecteur et commentateur du texte du jour, un passage du prophète Isaïe.

 

L’annonce est forte et solennelle : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » dit le prophète Isaïe. Cette annonce devient choquante pour certains, lorsque lui-même la commente et se l’attribue : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre ! ». Jésus se manifeste là comme l’envoyé du Père, le messie attendu, sur lequel vient l’Esprit. Tout au long de son ministère les tensions seront présentes, car ce sera sans cesse une remise en cause de sa prétention qui ira jusqu’à l’accusation de blasphème.

 

On aimerait pouvoir accueillir cette affirmation de Jésus sur lui-même dans une démarche de foi, d’accueil. N’invite-t-elle pas à placer notre confiance dans l’action de Dieu, celle du Père envoyant le Fils porter la Bonne Nouvelle du salut.

Au quotidien, nos yeux et nos oreilles, nos cœurs, préoccupés que nous sommes, sont empêchés de vivre cette attitude d’ouverture et d’accueil.

Comment garder confiance au vu des événements difficiles qui nous affectent ? Comment rebondir et se ressaisir dans la foi ? La tache est immense. Il nous est nécessaire de nous en remettre au Seigneur lui-même, source de toute unité : unité personnelle en Dieu, unité d’une communauté en Christ.

 

Que la semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous accompagne vers l’unité au cœur de notre communauté. Recevons la lettre de Paul aux corinthiens, comme une exhortation aussi forte et solennelle que celle de l’Evangile : « Vous êtes corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes membres de ce corps ». Corps souffrant, mais aussi signe du corps ressuscité, le Christ

 

Puissions-nous entrer les uns et les autres dans un chemin de paix, celle de Dieu lui-même, accueillant l’appel à une conversion de soi-même pour une plus grande intériorité et disponibilité à l’Esprit. Puissions-nous le reconnaitre au partage de la Parole et à la fraction du pain.

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